La maison natale de Claude JAVOGUE, né en  1759 dans cette maison familiale. Avocat, député de Rhône et Loire, révolutionnaire, il fit régner  "la Terreur en Forez " de 1793 à février 1794.Sous le Directoire, il est arrêté à Paris, jugé et fusillé le 10 octobre 1796. La porte est classée aux Monuments Historiques depuis 1947

La porte de Javogues

 
L’écusson de cette porte sculptée représente Pégase, symbole allégorique de l’immortalité de l’âme. Il est surmonté d’une tête féminine, souriante, cheveux au vent semble-t-il. La porte est datée de 1656, gravé sur le jambage de droite. Cependant des éléments de cette maison sont probablement bien antérieurs vu que le prieuré de Notre Dame des Farges qui se situait à l’emplacement de l’église voisine a été construit au Xe, voire au IXe siècle ; vu également l’Armorial de Guillaume Revel réalisé vers 1440-1459 qui mentionne plusieurs habitations autour du prieuré. En tout cas, dans le jardin de cette maison, situé en contrebas, ont été trouvés des culots de forge, c’est-à-dire des scories ferreux qui attestent qu’il y avait là, selon l’étymologie du toponyme Farge, une activité de travail du fer au Moyen âge. Les deux lettres inscrites sur le jambage de gauche (un I pouvant être un J ancien et un M) paraissent correspondre aux deux fondateurs d’une dynastie familiale qui est restée en cette place durant plus de trois siècles : les Javogues. En 1942, cette maison alors en mauvais état a été vendue par les descendants de cette famille. Et c’est pour préserver la porte d’une destruction qu’elle a été inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1947.
La famille Javogues a exercé les fonctions de notaires royaux de la fin du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe. Elle n’a cessé de s’élever socialement durant cette période et prétendait même à l’anoblissement à la veille de la Révolution. Le patronyme de cette famille est connu au travers de son membre le plus célèbre : le conventionnel Claude Javogues. Les ouvrages ou articles qui lui sont consacrés sont très nombreux.
La grande référence bibliographique le concernant est la thèse de l’historien anglais Colin Lucas : La structure de la Terreur : L’exemple de Javogues et du département de la Loire (traduction française par Gérard Palluau), Saint-Etienne, Université Jean Monnet, 375 p., 1990. [Edition originale : The structure of the Terror. The example of Javogues and the Loire, Oxford University Press, 1973]. Ajoutons la synthèse plus concise et accessible réalisé par un historien spécialiste du mouvement républicain au XIXe siècle : Claude Latta : Claude Javogues : membre de la Convention nationale, représentant en mission, Village de Forez, 40 p., 2001.

 
Claude Javogues (1759-1796) : son parcours

 
-           1759 (le 19 août) : Claude Javogues naît à Bellegarde, aîné d’une famille de 11 ou 12 enfants.
-           1772 : il entre au collège des oratoriens à Montbrison.
-           1785 : il est licencié en droit de l’Université de Valence et s’installe comme avocat à Montbrison.
-           1789 (mars) : son père, Rambert Javogues (1728-1808), préside « l’assemblée des habitants » de Bellegarde, chargée de rédiger le cahier de doléances.
-           1789 : Claude Javogues est nommé commandant de la police nocturne de Montbrison.
-           1791 : il devient administrateur du district de Montbrison.
-           1792 (septembre) : il est élu député du département de Rhône et Loire à la Convention nationale. Au sein de celle-ci, il rejoint rapidement les rangs des montagnards puis le Club des Jacobins.
-           1793 (le 16 janvier) : il fait partie (avec ses deux collègues montbrisonnais, Dupuy et Dubouchet) de la majorité des députés qui votent la condamnation à mort du Roi Louis XVI, jugé coupable de trahison envers la nation. L’un de ses frères, Jean-François, fait partie des volontaires bellegardois de l’an II (mars 1793) pour défendre la République.
-           1793 (le 20 juillet) : il est nommé représentant du Comité de Salut public, en mission dans les départements de l’Ain, la Saône et Loire et le Rhône et Loire, afin de réduire le soulèvement fédéraliste de Lyon. (Ce dernier est l’œuvre de royalistes (dominants) et de républicains modérés, unis contre le jacobinisme incarné à Lyon par Chalier). Au cours de son mandat (exercé principalement dans le nouveau département de la Loire, disjoint de celui du Rhône), Javogues coordonne avec d’autres conventionnels en mission (Reverchon, Dubois-Crancé, Couthon, Collot d’Herbois, Fouché, etc.) les opérations contre les troupes royalistes lyonnaises qui ont envahi le Forez pour se procurer des armes sur Saint-Etienne et des vivres dans la plaine. Il met en œuvre les dispositifs institutionnels de la Terreur visant à sanctionner ceux qui se sont soulevés contre la Convention et à assurer le ravitaillement des villes dans un contexte de pénurie alimentaire. Il instaure « en faveur de l’humanité souffrante » (c’est-à-dire les pauvres) une taxe sur les riches ayant un revenu supérieur à 9 000 livres ou possédant des biens estimés à plus de 100 000 livres (soit le double de la fortune de sa famille).
-           1794 (le 12 février) : il est rappelé à Paris en raison notamment du conflit qui l’oppose à Couthon, membre du Comité de Salut Public et ami de Robespierre.
-           1794 (le 27 juillet) : il fait partie, avec son ami et mentor Collot d’Herbois et Billaud-Varenne, de ces jacobins qui trouvent la Révolution trop timorée à l’égard des riches et des accapareurs mais surtout, qui s’inquiètent de l’emballement de la répression avec la Grande Terreur et donc s’allient avec d’autres conventionnels plus modérés pour renverser Robespierre. Involontairement, ils contribuent à ce que le balancier du pouvoir bascule à droite.
-           1795 (le 22 août) : après une période de semi-clandestinité depuis la chute de Robespierre, Javogues est déchu de son mandat de député avec l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution qui établit le Directoire.
-           1796 (au printemps) : excédé de voir que le régime est de plus en plus favorable aux riches, il se rapproche des Babouvistes (du nom de Gracchus Babeuf, 1760-1797, chef de file de ce mouvement) qui prônent une redistribution égalitaire des terres.
-           1796 (le 10 octobre) : compromis dans le soulèvement manqué du camp de Grenelle contre le Directoire, il est arrêté, condamné à mort et fusillé. Il avait 37 ans. Le peloton d’exécution était commandé par le père de Victor Hugo.
 

Claude Javogues : ses positions politiques

 
Son projet est d’instaurer une République démocratique de petits et moyens propriétaires. Pour autant, il n’est pas contre la propriété privée mais contre la grande propriété, les accapareurs et tous ceux qui s’enrichissent sur le dos du peuple. Il fait partie de ces conventionnels qui ont compris que l’égalité de droit proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 26 août 1789 n’engendrerait pas automatiquement l’égalité sociale. Constamment, il se montre soucieux de la dimension sociale de la Révolution.
Transposée en ce début de XXIe siècle, l’idée d’une République démocratique avec des inégalités limitées est d’une grande banalité, partagée par un large spectre politique : à gauche mais aussi à droite. (Certes dira-t-on, l’affichage d’une idée est une chose, sa réalisation en est une autre...) En revanche, sous la Révolution, cette idée était très en avance ce qui classait Javogues à l’extrême gauche de l’échiquier politique.
Par ailleurs, il est profondément anticlérical.
 

Claude Javogues : la légende noire

 
Le souvenir de Javogues est resté très vivace dans la mémoire populaire forézienne : un « sinistre sanguinaire », « assoiffé de sang », qui voulait tout exterminer, la noblesse, les prêtres et les riches. Au bas mot, il aurait fait périr des centaines, voire des milliers de personnes. Ces accusations ont été portées dès la chute de Robespierre par ses adversaires politiques. Ceux-ci ont insisté sur ses défauts de caractère pour le discréditer tant il est plus simple de s’en prendre au physique ou au tempérament d’une personne qu’à ses idées. Si donc l’homme était sincère, désintéressé et courageux, il était aussi impulsif, fougueux, colérique même si sa colère retombait vite, ne calculant rien ce qui se retournait contre lui, très théâtral, et… ne dédaignait pas le bon vin.
Les accusations à son encontre ont d’autant plus perduré que la République ne s’est imposée que près d’un siècle plus tard. Longtemps, il a été mal vu et même dangereux, avec la « terreur blanche », de s’afficher républicain. En outre, l’Eglise de France, très influente dans notre région, est restée officiellement monarchiste jusqu’en 1892, puis ne s’est ralliée à la République qu’à contre cœur à la demande du pape Léon XIII et, finalement, n’a adhéré pleinement à la démocratie républicaine qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Aussi, pendant un siècle et demi, la Révolution française a-t-elle été exécrée. Quoi qu’il en soit, cette légende noire ne permet pas de comprendre ce qui s’est passé.
 

Un contexte de guerre civile

 
La réalité est que la Révolution fut une période de grande modernisation de la France et de l’Europe mais aussi une période tragique d’anarchie et de guerre civile, avec bien sûr des morts de chaque côté. Prenons la bataille de Salvizinet qui met aux prises le 3 septembre 1793 plusieurs milliers de paysans républicains à un bataillon de quelque 500 soldats royalistes. Le commandant de ce bataillon, le chevalier de la Roche Négly, s’est targué auprès du général de Précy, grand chef de l’insurrection lyonnaise, d’avoir tué une centaine de paysans contre un seul mort du côté royaliste. Ce chiffre, même s’il est exagéré, est à comparer avec les 64 exécutions qui ont eu lieu à Feurs et les quelques 80 noms (royalistes) inscrits dans la chapelle des Martyrs. Cependant, les morts ne sont pas de même origine sociale : c’est sans doute pour cette raison qu’à Salvizinet aucun monument ne commémore ces paysans républicains tués.
Rappelons que tout se déclenche lorsque Louis XVI convoque en 1788 les Etats généraux – qui n’avaient pas été réunis depuis 1614 ! – pour trouver de nouvelles recettes à l’Etat dont les ressources ont été épuisées par la guerre d’indépendance américaine que la royauté française avait soutenue. Ce faisant, Louis XVI ouvre la boite de pandore. A cette date, le roi dispose d’un pouvoir absolu : aucune Assemblée ne contrôle son action ni celle de ses ministres. En outre, les ordres privilégiés, la noblesse et le clergé, ne payent pas d’impôt alors qu’ils possèdent d’immenses propriétés. Cette situation indigne de plus en plus une bourgeoisie en développement et de mieux en mieux instruite et informée. Beaucoup savent que l’Angleterre a réalisé sa révolution démocratique depuis plus d’un siècle et que son économie est florissante. A l’évidence mal préparé à l’exercice du pouvoir et mal conseillé, Louis XVI aura du mal à comprendre les revendications qui surgissent dès la réunion de ces Etats généraux. Bien disposé au départ, il accumulera les maladresses suscitant méfiance puis discrédit qui, finalement, l’emporteront… Alors qu’une monarchie constitutionnelle copiée sur le modèle anglais aurait largement convenu à la bourgeoisie qui dominait le Tiers état, un processus de radicalisation s’enclenche dans un contexte de crise des subsistances, de guerre aux frontières, et débouche sur la guerre civile…
Après l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793, en différents points du pays surgissent des soulèvements royalistes tandis que les armées des monarchies européennes envahissent à nouveau la France. Pour y faire face, la Convention à laquelle Javogues avait été élu en septembre 1792, prend une série de mesures d’exception, sorte d’état d’urgence, à partir de mars 1793. S’ouvre une période dramatique au cours de laquelle les républicains eux-mêmes s’entre-déchirent. Elle dure 17 mois jusqu’à la chute de Robespierre fin juillet 1794. A postériori, on lui donnera le nom de Terreur.
Au cours de cette période s’affrontent des positions antagoniques :
-        Sur le plan idéologique et politique, deux conceptions du pouvoir : les royalistes qui considèrent que celui-ci vient de Dieu et qu’il s’exerce par le biais du Roi « de droit divin » ce qui confère à sa personne un caractère sacré d’où le sacrilège de son exécution ; les républicains qui considèrent que le pouvoir doit venir du peuple et s’exercer par le biais de ses représentants élus démocratiquement et que le peuple peut récuser à chaque élection s’il n’est pas satisfait de leur action ;
-        Sur le plan économique et social : ceux qui considèrent le droit de propriété inviolable et sacré ne devant souffrir d’aucune exception et ceux qui considèrent que ce droit est amendable pour corriger les inégalités sociales ;
-        Sur le plan religieux : d’un côté, les prêtres réfractaires (généralement royalistes) et leurs soutiens qui ont refusé la Constitution civile du clergé et s’opposent frontalement au processus révolutionnaire dès 1791 ; de l’autre, les prêtres constitutionnels qui ont prêté serment à la Constitution et tous ceux qui dénoncent les réfractaires comme obscurantistes et fanatiques.
Le soulèvement de Lyon contre la Convention jacobine ne trouva principalement des soutiens, en Rhône et Loire et dans les départements environnants, que dans le Forez et, plus précisément, dans les districts de Saint-Etienne et surtout de Montbrison (celui de Roanne resta relativement neutre). Cela explique la géographie de la répression : sur Lyon essentiellement, puis sur Feurs avec près de la moitié des victimes provenant de Montbrison. Ces dernières sont le plus souvent des notables assez aisés ce qui correspond à la sociologie de ce soulèvement fédéraliste.
 

En conclusion

 
Les protagonistes de cette période tumultueuse et tragique ont été incapables de régler leurs désaccords politiques autrement qu’en s’excommuniant mutuellement par le recours aux armes.
La société française mettra beaucoup de temps à construire une démocratie stable et apaisée où les porteurs de projets politiques puissent débattre loyalement devant les citoyens-électeurs. Bien entendu, les crises économiques, sociales ou militaires peuvent exacerber les tensions politiques. Ce fut le cas en 1793-94 mais aussi en bien d’autres périodes de notre histoire.
Le manque de clairvoyance (à l’instar d’un Louis XVI) des décideurs politiques face aux problèmes rencontrés peut être délétère. Malheureusement cela ne peut être vraiment compris qu’à postériori. Cependant, le débat démocratique reste encore la meilleure démarche pour trouver les voies permettant de les résoudre.
Tocqueville a expliqué que le danger de la démocratie c’est la tyrannie de la majorité. Plus tard, Camus a estimé qu’une démocratie se mesure aux droits accordés à la minorité.
Quoi qu’il en soit, la recherche d’un modus vivendi où, tout en ayant des opinions différentes, voire antagoniques, nous puissions vivre ensemble, quelles que soient les difficultés du moment, restera toujours un chantier d’actualité. Ne serait-ce pas là l’une des leçons à tirer de cette période tragique dans laquelle notre lointain compatriote bellegardois s’est trouvé impliqué ?

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Photo de la maison natale de Claude Javogues prise probablement en 1937
Tirée de l’ouvrage :
Gonon François (1938) - Un forézien célèbre, Claude Javogues (1759-1796),
Imprimerie La Loire républicaine, Saint-Etienne, 161 p.

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Claude Javogues (1759-1796) par Emile Tournayre (1875-1951)
 
Ce buste a été réalisé dans les années 1930 par le sculpteur stéphanois Emile Tournayre (1875-1951) à la demande et sur les indications descriptives de son ami François Gonon auteur de : Un forézien célèbre, Claude Javogues (1759-1796), Imprimerie La Loire républicaine, Saint-Etienne, 1938.
 

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La « Porte de Javogues » aujourd’hui